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Dévisagez moi !

Textes: Audrey BBA, Jarno Eslan, Nadège B

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Ces textes ont été écrits par Audrey BBA, Jarno Eslan et Nadège B. Ils ont été choisis par les comédiens et co-mis en scène avec Audrey BBA. Une fois tous les spectateurs présents dans le lieu, Nadège, la danseuse, les invite à s'assoir ou à se poser sur une chaise, contre un mur ou contre une porte. Elle débute alors sa danse entre découverte de ce qui l'entoure, proximité et rejet des autres. Elle déambule dans la salle, accompagnée de sa plante qu'elle déposera ici ou là, aux pieds d'un spectateur, entre ses mains ou sur un meuble. Elle termine sa performance en déposant la plante aux pieds d'un comédien. La plante représente un objet transitionnel, objet qui va lui permettre d'aller vers les autres et de créer du lien. Elle est inanimée mais prévisible et vivante. Un parallèle est ici à faire avec les vidéos. Chaque comédien dira son texte, dans une interaction avec le public sur des intermèdes musicaux initiés par Clara et toujours accompagnée de la plante. Les textes ci-dessous sont une partie des textes dits les soirs de représentation.

Les diseurs de textes étaient Clara Néville, Nadia H, Marie B, Jarno Eslan et Marie-Annick W.

Dévisagez moi!

Regardez-moi !

Comme vous n’avez encore jamais regardé personne !

Prenez le temps de m’observer, de me dévisager de me regarder, de me contempler, de me déshabiller…

Commencez par la nuque qui en dit long…

Les cheveux relevés en chignon…la magie du geste au moment de les attacher…cette forme unique et provisoire…qui me ressemble tant…

Tournez légèrement autour de moi et fixez mes yeux ! Ils vous transpercent. Ils vous mettent mal  l’aise…ne les lâchez pas du regard…vous perdrez à tout jamais cette étincelle…soyez prudent avec les choses sensibles et précieuses…les yeux en font partie !

Regardez ce nez qui pointe vers vous comme par mépris. C’est méprisant, un nez ! Méprisant et éloquent ! Celui là restera toujours à sa place. Vous pouvez le laisser tranquille sans quoi, il ne vous laissera plus jamais tranquille. Fuyez !

Non, restez ! La bouche…admirer cette bouche, si douce, si charnelle et charnue. Elle embrasse, elle s’ouvre pour laisser passer des mots, pour laisser entrer l’air et la chair. Elle baille. Elle est l’un des point de contact avec l’Autre…le lien…le fil…

Le menton, comme le nez, est prétentieux. Il vous ignore alors ignorez-le !

Le cou, lui, cherche le contact, le contact de vos doigts, de votre bouche, de votre cou, du col roulé, de l’écharpe en laine. Ne négligez jamais le cou. Il est  celui qui rallie le cœur à l’esprit, un fleuve d’effluves aux parfums infinis.

A présent, reluquez mes seins…ces collines aux mille et un reflets…imaginez l’alpiniste qui est en vous…faire l’ascension de mes seins…une ascension lente et délicate…sur des pentes glissantes et frémissantes…

Et si vous vous souciez de mes hanches, de mes jambes, de mes pieds…Allez-y…Inspectez moi des pieds à la tête…ou plutôt de la tête au pied…

Et si je me retourne, vous serez bien embarrassé face à ce dos ! Oh mais vous n’avez pas l’air embarrassé du tout ! Mon dos vous parle tout autant de moi ?

 

AUDREY BBA

"Je" "Tous"

« Je » suis au milieu de vous « tous ». « Je » dois me mêler à tous vos « je» et je dois m’en démêler pour ne pas m’aliéner…essayer de m’identifier, m’afficher, m’affirmer, trouver une place, ma place, me distinguer…

« Je » « tous » car « je » n’arrive pas à me décoller suffisamment de vous « tous ». L’adhésion est partielle mais aliénante au point que parfois mon « je» est « tous », que souvent mon « je » suis « tous »… L’aliénation est telle qu’elle envahie tout mon être et « tous » entre en moi, m’envahissent, me possèdent, m’oppressent…J’ai besoin de vous expulser tous alors « je » « tous », « je » « tous », « je » « tous », « je » « tous ». ..Il faut que « je »m’éloigne de vous « tous », sans être à la périphérie, s’éloigner pour trouver la bonne distance entre « moi » et  vous  « tous »…

Lorsque « je » passe du centre à la périphérie, forcément « je » « tous », « je » « tous », « je » « tous »…Je m’y perds…la distance est trop grande, trop brutale, trop subite…elle crée en moi ce cataclysme qui ébranle tout mon être et « je » « tous », « je » « tous », « je » « tous »…

Alors comment « je » peux exister avec vous « tous » en étant ni trop proche, ni trop loin, ni trop collée, ni trop distancée… « Je » dois trouver cette place au milieu de vous « tous » sans être au centre de « tous » ni à la bordure de rien…au bord du précipice…face au vide…

La bonne distance se trouve entre « Je » et « tous » et « je » ne « tous » plus…

 

AUDREY BBA

Stéréotypes, entre fantasme et illusion

Une photo, un âge, une profession

Image figée dans l’instant, un instant qu’on ne partagera pas, une image de toi d’une autre réalité…

Image figée laissant libre cours au fantasme d’un visage qui n’est pas le tien…ne reflète rien de toi…j’emprunte des traits de ton visage pour créer une autre image d’un visage qui n’est pas le tien.

Image figée laissant libre cours au fantasme d’un certain sourire, d’un regard d’une certaine profondeur, d’une bouche sensuelle et rieuse…

Image figée d’un visage que j’imagine doux, sévère, boudeur, passionné, moqueur, prétentieux.

Ce que tu n’es certainement pas !

Image figée ne laissant aucune place à ton corps…un corps à l’allure sensuelle, chaloupée, boitillante, imposante, amaigrie, avachie…

Image figée qui n’en dit pas long et qui pourtant s’affiche à moi dans une prétention d’ETRE…d’être à toi…de te présenter et de représenter...

Image figée dans une illusion collective, dans une consommation excessive, dans un délire sociétal…

Image figée accolée à une photo et à une profession

Un âge qui dit quoi ?

Que l’image ne ment pas ? Que l’âge accolé à l’image ne ment pas ?

Que tu es bien conservé pour ton âge ? Que tu corresponds à mes critères compatibles ?

Que tu n’es ni trop vieux, ni trop jeune ?

Jeune pour qui et pourquoi ?

Que cela veut-il dire ? Qu’est-ce que cela traduit ?

Qu’est-ce que cela traduit-il de toi ?

L’âge n’est-il pas un marqueur illusoire du temps qui passe ? N’est-il pas indépendant de notre histoire…fantasmatiquement interchangeable en fonction de notre vécu, à notre style de vie, à notre manière d’être au monde ?

Peu importe ton âge, figé, lui aussi…

Même s’il peut, lui aussi, laisser place à la rêverie.

Une profession !

Une profession qui en dit long…mon œil…

N’est-ce pas une des première question que l’on pose ? « Tu fais quoi dans la vie ? »

La vie se résume alors à une profession. Et alors, ce qui n’en n’ont pas sont t’ils morts ?

Et moi, dans tout ça ? Avec ma photo figée parmi d’autres photos figées, mon âge et ma profession.

Suis-je un article virtuel, enfermée dans une boite connectée à d’autres boites ?

Et si l’on sortait dans la rue, et si l’on se regardait ?

Si j’observais les silhouettes, ta silhouette, de dos. Elle en dit certainement bien plus long que ton visage figé, ton âge et ta profession.

 

AUDREY BBA

Des visages et moi

Le premier visage que je vis fut le tien, maman! Puis le tien, papa !

Vos visages souriants, emplis de larmes, doux, anxieux, aimants… Je ne peux me souvenir de ces émois…mon corps s’en souvient…et le reste aussi…

Je les retrouve dans le visage des autres, une émotion par-ci, une autre par là. Une expression  volée au hasard d’une rencontre…Je les retrouve et les recherche…une recherche à vie et avide de vos visages…Je ne cesserai toute ma vie d’être à la recherche de ces deux visages…

Puis d’autres visages sont apparus…d’autres émotions…d’autres regards…d’autres expressions…

Certains, je les ai dévisagé jusqu’à ne plus les voir…les défigurer…les embellir…les enlaidir…changer et modeler leur contour…leur matière…J’en suis devenue ivre et saoulée…à trop les dévisager, j’en ai eu la nausée…ou l’envie…l’envie de les posséder…de les toucher…de les embrasser…de les lécher…de les mordre…de les gifler ou de les pincer…

Certains, je les ai juste croisé…aperçu au hasard d’une rencontre…et ceux-là sont restés ancrés dans ma mémoire à tout jamais. car aucun visage ne peut disparaitre dans l’oubli…un visage donne un regard…un souffle…un mot…une mimique qui reste là à tout jamais…

Certains, apparaissent, disparaissent, réapparaissent…ces visages là se laissent désirer…on en oublie le contour et les détails…les expressions même…on les rêve…on les attend…et ils nous échappent…on court après…on s’essouffle…ils nous happent…nous retiennent…puis s’envolent…

Je vois vos visages changer…s’animer…se dissimuler derrière une ombre…ne plus être…vieillir…disparaitre…

Mon visage, je ne le vois pas !

 

AUDREY BBA

Être ou paraitre

Se mettre à nu et apparaître aux yeux de tous

Se montrer ou démontrer ce que l on est 

Livrer sont corps ou livrer son âme 

Masquer la nudité pour ne pas déranger 

Se cacher même nu 

 

Porter un masque ou sans libérer 

S affranchir de la bienséance et de l aisance

Être délicat sourire mentir puis pourrir de l'intérieur 

Se voir et ne plus se reconnaître 

Se regarder et ne plus apprécier 

 

Dire ou se mentir 

Mentir et se dire qu’on n’a pas le choix, qu'on est définie par l'autre, et par ses regards qui se posent et s imposent à nous, nous dénaturent, nous perdent

Lire ce que l on est dans le visage de l'autre, ses expressions ses yeux ses paupières qui se ferment et définissent une opinion de nous, scellent son jugement sur nous 

Être définie par l'autre, n'exister que dans/par le regard de l'autre, être ou devenir ce qui apparaît aux yeux de tous 

Se perdre dans le regard de l'autre de leur norme l'expression sur leur visage que suscite notre présence notre être 

Cacher le dégoût de ce que l'on voit de ce que l'on est de ce que l on montre, de l autre, ou de cet autre qui nous appartient et qui nous échappe

 

Tiraillé entre le pouvoir de penser, l'obligation de paraître, la contradiction des deux, la dualité dans l'inconscient, la conscience de tricher mentir à l'autre et a soi

Tant d'efforts pour se dévoiler, de temps, pour lever le voile sur qui nous sommes quitte à ce que les autres grimacent s interrogent lèvent les sourcils ferments les yeux se détournent se retournent face dos à ce que nous sommes et partent nous laissant seul face à nous-mêmes et à nos contradictions, aux différents visages que l on a, que l on est, que l on montre

 

Ne dit-on pas comme expression je l'ai vu sous un nouveau visage il a montré un autre visage sous ses airs de ... il cache bien son jeu je le vois sur un autre jour j ai découvert sa face cachée 

Au jeu de l'être et du paraître certains son maître en la matière :

  

Sourire pour cacher ses blessures son malaise panser ses plaies 

Rire pour ne pas révéler l'humiliation la peur 

Se cacher pour pleurer 

Pleurer pour attendrir

Retenir ses larmes pour ne pas laisser couler le désespoir, ou le faire sortir l'évacuer vider sa peine

Crier pour ne pas perdre pieds ne pas se noyer dans son chagrin ne pas couler dans sa propre vie 

Laisser s écouler l'essence qui définit son vrai soi

Lassé par le jeu des apparences 

 

L’apparence si importante dans nos sociétés, si dérisoire dans celles d'autrefois

L’expression du jugement sur le visage de l'autre mérite-t-il de ne pas révéler l’essence précieuse de ce que l'on est 

Nos désirs nos peurs nos passions sont-elles enchaînés par le regard des autres, libérés par les quelques êtres choisis pour partager un bout de soi de route de vie 

Se regarder dans le miroir ne plus se supporter se questionner et voir ce que l'on est devenu, au-delà du temps et des marques qu'il a posées sur nous, apparaitre seul face soi-même, se révéler !

 

Nadège B

Agées par le nombre, le temps, l usure, âgées avant l'heure 

L âge d une personne se devine t'il au premier regard, au premier abord, et même de dos ?

Dévisager-moi, dites-moi ce que vous voyez, pensez, et même pensez deviner

Les visages ont ils un âge, chaque ride définit-elle une décennie, une marque que le temps vient poser/ déposer/ dispatcher/peser chaque émotion/ révéler le poids du passé ?

L'âge a-t-il un usage? Chaque blessure, chaque instant passé, de joie, de doute, de questionnement, marque-t-il le visage, modèle t- il la silhouette ?

Voit-on dans ma démarche ma façon d'appréhender la vie, lorsque je déambule devant vous, que je trébuche, que je découvre, que je chute, que je cours à travers le temps / courir vers l avenir pour apercevoir le bout du tunnel /courir vers l arrière pour recommencer différemment / modifier/ recroiser/ repenser ma vie ?

Que deviner vous de moi, regardez-moi, lisez en moi, imaginez moi, envisagez moi, dévisagez moi 

Plusieurs vies dans ce corps /cette enveloppe corporelle, qui définissent ma personne/ l essence même de mon âme, se dévoile-t-il à travers mes expressions, mes regards, mes sourires, mon visage ?

Combien de vies ai-je vécu, de déchirements, de renouvellements, de remises en question, de pages que je tourne, que j'écris que je déchire que je lis que je relis que je réécris dans mon esprit ou que je jette ?

Les regrets me vieillissent-ils, me rendent-ils plus âgée, me renvoient-ils a un temps révolu, m'ensevelissent-ils comme une petite mort sans fin que je subis malgré moi, qui asphyxie la plus petite parcelle de mon être ?

 

Nadège B

Des vies âgées

Regarde moi, regarde moi bien. Tu n’as pas changé, enfin, seulement un peu.
Ici, et là, et là aussi. Chaque jour, je te connais un peu plus. Les autres, ces autres, ne
te voient pas comme je te vois. Ils ne te comprennent pas.
Regarde moi, regarde moi bien. Je suis le seul qui te regarde autant. Chaque
jour, chaque heure. Tu es comme une évidence, je te fais confiance. Tu es seul témoin
de mes moments les plus intimes. Le premier poil, le premier bouton, la première
ride, le premier cheveu blanc, mes grimaces, parfois… Les premières soirées, les
lendemains d’ivresse, les premiers rendez-vous, les soirées de luxure… Tu es
finalement celui qui en sait le plus, qui en comprend le plus.
Regarde moi, regarde toi ! Je remercie le temps et la vie, comme elle est bien
faite celle-là, que tu ne puisse jamais parler ! Tu en sais trop, beaucoup trop ! Tu n’es
pas sourd, tu n’es pas aveugle, mais tu es muet !! Bien muet ! Ah ah ah!
Non, ce n’était pas moi, c’est lui qui a tout manigancé, je n’ai fais qu’obéir. Ce
n’est pas moi ! Il m’a mis dans son jeu, je me suis pris au jeu ! Je ne suis pas comme
ça ! Ah je vais t’avoir!..... Non! Pardonnne-moi, pardonne-moi….
Le miroir. Obsession artistique ! Témoin du temps passé. Vivant de
frustrations, de notre regard déformant : il est finalement le seul qui jamais ne ment.

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Jarno ESLAN

Le miroir

Il cache... certes, il cache. Mais finalement : que cache-t-il?
Un homme, une femme, un monstre, une laideur, une beauté...
Ses yeux, son nez, ses joues, sa bouche, son visage...
Mais que cache-t-il vraiment? Un adulte ? Un enfant ? Un timide maladif, un
charmeur compulsif ?
Rien! Il ne dissimule rien!
Ou peut-être un peu… Quand même…
Mais une apparence, trahie par un geste ou une parole,
Fais tomber le visage, l’artificiel visage !
Nous portons tous des masques. Ici, là, maintenant, hier, bientôt, peutêtre,
sans doute, sûrement…
« Ah mais non… moi ? Ooh non pas moi ! Je t’assure, aah non pas moi! Ça
c’est sûr, ah non ! »
Mais il est un art que de savoir les garder.

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Jarno ESLAN

Le masque

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